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Une interrogation affûtée à l'extrême

Didier Arnaudet

Ce qui frappe d’emblée, c’est l’effervescence des combinaisons. Tout s’enchevêtre, se ramifie mais reste en mouvement, loin du cadre des réalités définies une fois pour toutes. Frédérique Metzger croise des fonctions et des incertitudes, des organes et des dérives, des excroissances et des orifices, des enveloppes et des circulations. Passage et cloisonnement sont en étroite dépendance. Ce sont les deux procédures propres au fonctionnement de la mémoire. Des souvenirs se prolongent, s’élargissent et participent à cette promiscuité active du dedans et du dehors. Dessins et sculptures produisent une multiplicité d’objets, de formes et d’images gonflés d’humeurs, fissurés d’histoires. Germinations, contaminations et transmutations, collages, embranchements et retournements, pièges, moules et emballages, mousses, armatures, gants et collants, brusques éclairages jaillissant de la pénombre, poussées d’étrangeté se greffant sur des impressions de déjà vu, tous ces processus, matériaux et situations convoquent des expériences composites, constamment travaillées par un besoin de confrontations entre le vécu et le rêvé, imposant leurs contrastes, leurs désordres et leurs conflits. Le merveilleux, l’horrible et le bizarre s’y développent librement. Mais ils n’ont pas une existence simplement ornementale. Ils sont comme des impulsions qui mènent un combat. Ils relèvent d’une stratégie, à savoir un jeu d’alliances, d’oppositions, de condensations et d’explosions.

 

L’univers de Frédérique Metzger est obstinément mouvant, incertain. On dirait un aquarium. Comme dans cet écrin de verre, des éléments tournent, vont et viennent, cherchant moins à avancer vers une conclusion nette et définitive qu’à faire apparaître, en se soumettant à une diversité de détours, un centre inconnu. On s’approche tout contre la paroi : ce sont des planètes en pleine ovulation qui palpitent, des tentacules spongieux qui se déroulent, des consistances qui s’amollissent, grouillent, des appels suspendus dans un plasma confus, des formes qui perdent leur innocence et se mettent à luire de danger. On souffle et tous ces composants s’agitent, se heurtent, s’entassent, s’emmêlent, se contredisent et s’entrechoquent, sans qu’on puisse établir dans leurs comportements une cohérence quelconque. Mais, en ondes décroissantes, les remous s’apaisent et tous ces organismes reviennent à leurs ingestions et digestions singulières, à la poursuite de leur croissance selon l’ordre de l’adjonction effrénée et subissent à nouveau l’influence des excitations impalpables. Glissements, déroulements et accroissements capricieux, vagabonds, en voisinage souvent avec une certaine cruauté, peut être une sexualité souterraine, cet univers bouge, change. Son sort est la fluctuation : il se fait pour se défaire, évolue pour se relancer, se laisse absorber pour annexer. Son état est la variabilité de ses substances, de ses contours : des hausses et des chutes, des affirmations et des dénégations, des nécessités et des fantaisies.

 

Chez Frédérique Metzger, les conversions et mutations incessantes des formes, des figures, des visions et des fictions déclenchent un déploiement vertigineux mais spasmodique, procédant par jets discontinus, entrecroisés, perpétuellement interrompus et recommencés, et suggèrent une fièvre ne pouvant jamais se satisfaire de ses productions, voulant toujours les dépasser pour en créer d’autres plus incisives, plus décapantes. Cette organisation répond également à un principe moléculaire. Non seulement tout s’y tient, mais tout s’y propage, tout y influe. Les restructurations, les échanges et les remplacements sont des ondulations qui partent d’un point pour agir sur tous les autres points. Ces choses, ces corps, ces mécanismes qui mélangent connivence et pénétration, géométrie stricte et chaos, franchissent barrages, frontières et obstacles et mobilisent l’attention, la crainte, le désir, la réflexion, sont habités par une interrogation sur les forces qu’elles consomment et les conditions d’accès qu’elles imposent. Cette interrogation, Frédérique Metzger l’affûte à l’extrême pour la tendre comme un fil, mettre à nu son ressort vital, faire flamber un feu fantasmagorique qui couve et partager son bénéfice immédiat.

Didier Arnaudet, extrait du catalogue frédérique metzger édition galerie du CAUE, novembre 2007

Note sur le travail de Frédérique Metzger

Jérôme Felin

Une lecture superficielle du travail de Frédérique Metzger conduirait à le qualifier de protéiforme, coloré, hérité d’une ère post-industrielle pour l’utilisation des matériaux, doté d’une esthétique de la marge, voire même de féminin.

Pourtant cela ne serait déjà pas si mal.

La véritable question de son travail, quoique résolument contemporain, est ancrée à mon sens bien plus loin dans l’histoire de l’art. Frédérique Metzger est un sculpteur, et comme tout excellent sculpteur, elle pratique un art graphique très affiné. Il ne m’appartient pas ici de rappeler quels sont les liens essentiels entre les deux pratiques que véritablement, Frédérique Metzger réinvente. Par les techniques utilisées certes, mais aussi en renouvelant le langage plastique.

Frédérique modifie sensiblement le rapport de l’œuvre à l’espace, dans un appel frémissant et dynamique au corps. L’installation de ses œuvres implique un regard évolutif du spectateur, obligé d’opérer une symbiose mentale et donc de conceptualiser l’indicible expérience du « porté » de l’œuvre, de son accompagnement sensuel. Jouant parfois à placer des obstacles entre le corps et l’œuvre, elle compte sur le caractère déceptif de cette expérience pour renforcer le désir. En ce sens on songe aux grands anciens, Henri Laurens ou Nikki de Saint Phalle, cependant le corps n’est pas ici objectivé dans l’œuvre, mais subjectivé dans le rapport qu’il entretient avec elle.

 

L’art de Frédérique Metzger appelle la performance, la création vidéo et ouvre aux possibles un champ très vaste qu’elle ne manquera pas d’explorer.

Jérôme Felin, conseiller arts plastiques DRAC Haute Normandie

Une recherche tentaculaire

Yannick Miloux

Pour caractériser son langage plastique, cette jeune artiste qualifie sa recherche de tentaculaire.

C’est vrai que formellement, l’escargot, la limace, la pieuvre et la méduse sont des images qui reviennent souvent. Mais il est également possible de constater que son œuvre se développe en réseaux plus ou moins apparents. Ses dessins sont très délicats. Mêlant parfois les techniques par collage (morceaux de tissus, papiers colorés, etc…), ses dessins de petit format ont toujours un aspect sensuel et mystérieux grâce, notamment, à une utilisation très maîtrisée du pastel. Parfois peuplés de personnages (anges, chevaliers, sorcières,…) ou d’étranges animaux, de plantes qu’on imagine magiques ou vénéneuses, souvent de robes ou de maisons (des motifs qui concernent les limites de l’intimité et de l’apparence), quelquefois légendés, les dessins de Frédérique Metzger décrivent par fragments un monde onirique, à la fois séduisant et inquiétant.

Ainsi, Sexdigitale nous fait effleurer un monde sexué qui, à travers des trous et des orifices, fait se croiser les domaines du végétal et de l’humain.

Ailleurs, le triptyque La vie cachée met en relation un fragment de paysage sommaire (une petite maison isolée sans porte ni fenêtre ni cheminée qui s’aligne sur l’horizon), une longue robe blanche un peu fantomatique sur un halo gris et un motif ornemental bourgeonnant.

De ses nombreux dessins, l’artiste tire parfois des sculptures aux dimensions variables : de toutes petites sculptures qui peuvent tenir dans la main, des « sculptures de compagnie » qui peuvent être manipulées, d’autres qui ont l’échelle de la maquette, d’autres enfin qui peuvent envahir l’espace et y proliférer.

Le terrier et les mordantes constituent un détail de paysage qui se déploie plus ou moins au sol. La surface du sol est un plateau où s’éparpillent les éléments (fruits, graines) roses chair et bruns des mordantes. C’est aussi une limite de laquelle les réseaux souterrains du terrier semblent émerger.

On verra enfin dans les volutes et les langues de polyéthylène perforé d’Une fleur du mâle une allusion érotique et romantique (baudelairienne ?) à un monde végétal synthétique et inquiétant.

Yannick Miloux, Catalogue FRAC Limousin, troisième époque, 2007

La nuit invente le monde

Yann Pellerin

Toute proposition de Frédérique Metzger procède d’une rencontre entre la plasticienne et un matériau élu parce que c’était lui parce que c’était elle et dont elle entrevoit un devenir. En l’occurrence, elle a acheté chez un destockeur treize blocs de « cartes magiques à gratter silver holographique argenté 2 pointes à tracer utilisables des deux côtés ».

Il est des rencontres manquées, des en gésine en un coin d’atelier et des fulgurances que dans une danse des sept voiles, Frédérique Metzger déplie en intention ou, à son gré, replie en intuition.

Contre tout emploi du temps, Frédérique Metzger a déployé son temps de nuit, son temps de contrebande, à gratter ses cartes noires. Et gratter, en argot, c’est à la fois travailler mais aussi soutirer et marchander. Les dessins de Frédérique Metzger ont en effet été l’objet d’une tractation arrachée au temps contraint, à l’obligation de faire des choix, d’un accord arraché au profit de contingences réévaluées et de la contamination qui dissémine.

 

Un accrochage somnambule observe sans trop y croire les règles bibliques d’une hiérarchie cosmique. Toute dissémination exige un principe. Pour le moins burlesque car traité à l’arrache, le principe observé en valait bien un autre. Une parodie douce et lunaire est néanmoins à l’oeuvre dans ce vaste jeu de cartes à gratter et l’omniprésence du luminaire céleste en est un signe.

La volée de dessins a trouvé place comme à regret. On observe la posture de l’enfant dont la loupe grossit une théorie de fourmis. Il faut aussi tordre le cou comme un travailleur cherche Vénus au tout petit matin, pendant que le moteur chauffe.

Dans cet entre deux, le quadrillage d’une ville nouvelle et un tarmac vus du ciel, la merveille d’une grotte du Pacifique sculptée au regard par des vers luisants, ou celle d’une centrale nucléaire aperçue de l’autoroute qui mène à Bilbao, la stase d’une créature des abysses, un phare projetant son faisceau sur l’océan, la caresse préliminaire du macrophage à la bactérie... Frédérique Metzger joue pour nous l’étreinte de l’homme et de la nature, leur interpénétration confinant à une entre-dévoration effrayante et féérique.

On peut aussi jouer à chercher Dieu dans le satellite de télécommunications, dans le tapetum lucidum de la biche, la fluorescence du lichen ou de l’adamite, la bioluminescence de la baudroie.

On peut aussi se rendre sensible au tremblement des électrons, quarks et photons ou tout du moins, la « carte à gratter » présentant une fois grattée une juxtaposition anarchique de formes circulaires, plus ou moins métalliques et iridescentes, on peut observer les effets de la lumière changeante sur cette malicieuse célébration du monde que Frédérique Metzger module et offre à observer.

Yann Pellerin, mai 2019

Monstres et merveilles

Isabelle Delamont

Népenthès, plante carnivore aux ramifications luxuriantes et remède magique à la tristesse pour les Grecs de l'Antiquité, comme métaphore du travail plastique de Frédérique Metzger.
Double signification du piège et de l'antidote pour un travail équivoque et ambigu qui se joue avec facétie de nos perceptions les plus intimes et réveille nos peurs enfantines de façon poétique, érotique mais aussi corrosive.
Par un processus capricieux d'associations, de combinaisons d'objets et de matériaux divers, récupérés non pas au hasard mais déjà choisis (avec une certaine prédilection pour toutes sortes d'emballages), l'artiste "retourne la peau des choses" comme elle aime le dire, se réapproprie l'ordinaire, réinvente un rapport à l'extraordinaire et nous livre ses monstres et ses merveilles. Grotesques, hybrides démultipliés semblent tout droits sortis de l'univers de Balthrusaïtis ou être passés de l'autre côté du miroir. Ces inquiétantes étrangetés, obscurs objets du désir aux couleurs douces et acides envahissent l'espace. Mous et rampants prolifèrent, viennent perturber nos repères orthonormés et notre rapport à une échelle donnée.

Ce travail drolatique et sensuel qui sollicite notre imagination et malmène notre perception ne se prive ni du plaisir de la matière, de la couleur, ni de celui des mots ; à chaque pièce correspond un titre qui fait sens et qui nous perd un peu plus dans le dédale des subterfuges et des artifices de Frédérique Metzger.
Remèdes pervers à la tristesse !  
  

Semer dans la brume des lendemains (extrait)

Muriel Berthou Crestey

Des résidences d’artistes sont régulièrement organisées à l’Usine Utopik – Relais Culturel régional de la Manche soutenu par l’association ADN (art et design en Normandie ) – dirigée par le plasticien et sculpteur Xavier Gonzalez. Convaincu de la nécessité d’amener la culture dans les espaces ruraux, il a investi l’ancienne serre horticole de Tessy-sur-Vire en 2007 avec l’intention de transformer cet espace en centre d’art contemporain, réunissant deux pôles a priori antagonistes (art contemporain et ruralité). Avec l’introduction de l’art dans la campagne, il a offert aux habitants l’accessibilité à un monde a priori réservé aux citadins. Cette action qui porte à la fois sur les arts plastiques et l’écriture contemporaine favorise le mixage des populations. Les artistes inspirés par les atmosphères vivifiantes des lieux sont invités à partager leur vision de cet environnement. Par ailleurs, cette initiative permet de comprendre les dispositifs de création et les processus engagés pour élaborer un projet, de la note d’intention jusqu’à la présentation de l’œuvre. Deux plasticiens se répartissent les 400 mètres carrés dévolus aux expositions. Les ateliers mis à leur disposition dans la serre restent ouverts au public pendant la réalisation. L’entrée est libre. Des phases de résidences d’un mois et demi instaurent un rythme continu. Actuellement, ce sont les œuvres de Pauline Vachon et Frédérique Metzger – artistes résidentes en mai-juin 2012 – qui occupent ces espaces marginaux enveloppés d’une lumière zénithale.

 

Tapis dans le végétal

 

Les deux artistes ont multiplié les repérages dans les bocages, prés et jardins normands pour en extraire l’émotion, dans les sillages de l’histoire. Des lieux d’intention sont naturellement apparus dès les prémisses de leurs recherches plastiques. [...]

Frédérique Metzger a récolté çà et là des matériaux de récupération (objets du quotidien, végétaux, empreintes organiques ou humaines), entreprenant la coloration de l’espace par de curieuses sculptures aux formes hétéroclites, invasives et proliférantes. Sous ses yeux, le tapis végétal est devenu rose tyrien et l’installation s’est progressivement composée de figurines rampantes et de plantes ophtalmovores. Raides et souples, des feuilles de nénuphars s’installent au cœur de l’œuvre. Elles sont empreintes d’une symbolique tenace, évoquant, en accord avec le langage des fleurs, un amour pur et froid. Rendues transparentes et opaques par la matière polie du savon moulé, elles portent, dans leur couleur chair, la trace de l’écume des jours passés.

Les refuges temporels

“Il cueillit une orchidée orange et grise dont la corolle délicate fléchissait. Elle brillait de couleurs diaprées.

-Elle a la couleur de la souris à moustaches noires…”

Boris Vian, L’Ecume des jours, 1947.

Si le secret avait constitué la première idée de jardin de Frédérique Metzger, elle lui a finalement substitué des formes sibyllines qui se découvrent piégées dans des constructions rhizomiques. En creux se dessinent d’autres significations aux masses ludiques et colorées. En s’approchant, on découvre des membres orphelins qui sortent de pots, une profusion déroutante où végétal et organique se confondent. La fraîcheur rosée de la plante du pied du joli bébé de l’Usine Utopik, surgit au milieu de cette profusion d’émotions livrées, catégorisés. En quête de foisonnement, l’artiste sème des indices dans un espace cependant délimité, clôturé, où éclosent de mystérieuses cultures. Son univers tend à détacher les empreintes du quotidien de leur domaine d’appartenance pour les faire basculer dans le registre de la fantasmagorie. Elle dissocie deux temps d’intervention : d’une part, l’exécution frénétique de sculptures dans son “boudoir” envahi de pots, moules, matières, carnets, notes, machines, dispositifs et matières en tous genres et d’autre part, la création de l’installation à partir de tous ces détails intégrés au sein de l’espace d’exposition. Expansion, colonisation, hybridation se répandent dans un territoire contraint, délimité. Un banc incite le contemplateur à s’arrêter, à pénétrer dans l’espace clôturé par ces “liens doux”, sorte de tuteurs reconvertis en lianes excentriques.

Des collants emberlificotés et dentelles se transforment en fleurs insolites. Des êtres fantastiques semblent s’être départis pour un temps de leurs mues. Les plantes rivalisent d’artifices et de métempsycoses, renaissant sous différentes formes spectrales. La distance est annihilée. Cette mise au ban de l’interdiction habituelle nous incite à toucher les œuvres. Passage d’un médium à un autre, transport de sensations (les sculptures tactiles évoquent tour à tour le rugueux, le lisse, le piquant, le spongieux, le rêche, la douceur…) Les matériaux communient à présent avec ce parachutage d’événements imaginés à partir du quotidien.

Dans l’effervescence des derniers jours de résidence, les deux artistes se sont partagées le regard du visiteur à venir. Elles ont opté pour une scénographie spécifique, conciliant points de vue au ras du sol, à hauteur des yeux, vues surplombantes. Elles ont ménagé des garde-fous, ont cultivé des liens entre leurs approches, en ont découvert d’autres au fil de leurs échanges. Il s’agit de montrer l’inachèvement, le processus comme une fin. Pauline Vachon et Frédérique Metzger amorcent une forme d’étymologie visuelle où les cartes destinées au repérage sur le terrain sortent de l’atelier, pour s’exposer. Le non fini règne dans la serre. Des plans de jardin deviennent des sources de création. Frédérique Metzger les a trouvés dans les archives de ses aïeuls ou dans des catalogues de pépinières. Elle en fait des matrices pour ses dessins au pastel, mines graphites et vernis à ongles. L’ensemble apparaît acidulé, bucolique, joyeux ou redoutable. C’est une forme liquoreuse du jardin où se concentre son organisation essentielle. [...]

Muriel Berthou Crestey, Semer dans la brume des lendemains, (Frédérique Metzger / Pauline Vachon),

Le regard à facettes (culturevisuelle.org), 2012

La vengeance de Cendrillon

Jean-Marc Bermès

Hegel définit les objets par la dureté de leur opposition au sujet pensant qui les affronte, l’allemand, dit-il, emploie à bon droit le terme de «Gegenstand»-  c’est-à-dire : ce qui se tient contre, ce qui se pose en s’opposant.

 

L’enfant fait ainsi l’apprentissage de la dure réalité : au lieu que la sucrerie désirée ne fonde dans sa bouche, le bocal de bonbons lui tombe sur la tête.

Paradoxalement le même Hegel considère que les objets fabriqués sont la réalisation de l’activité pensante du sujet qui en a déterminé la fin et organisé les moyens, par le travail, pour satisfaire les besoins par leur consommation, leur usage.

 

Dans le monde surréel il en va autrement.

 

Si le carrosse enlève Cendrillon à sa cuisine pour la conduire dans les bras d’un prince ébloui par sa beauté, la vraie forme du carrosse n’est-elle pas la citrouille ?

 

La puissance magique des métamorphoses n’est-elle pas plus forte que celle des désirs et des besoins ?

 

Les verres, les plats, les assiettes, les pichets se font dentelles, les éponges nuages, les miroirs fixent les douceurs de la peau et en gardent la couleur, le savon s’enfle de bulles, les chaises embaument le pain d’épice.

 

Dans ce monde poétique et comestible, imaginé par elle, Frédérique Metzger peut se voir en son miroir : le Metzgerbau.

Jean-Marc Bermès, mai 2009

Fairy double

Jean-Marc Bermès

Frédérique Metzger est une artiste, et, comme telle, prête à tout pour faire œuvre.

 

Or elle est très pudique, elle ne cherche pas à séduire, elle délègue aux objets et aux matériaux son énergie, sa force de conviction, d’où une prolifération inextinguible de savons, d’éponges, de dentelles moulées au pistolet à colle, design étrange dont le seul résultat apparent est d’expulser l’habitant de tous les espaces normalement utilisables : cuisine ? salle de bains ? toilettes ? chambre ?

 

Pourtant, si le corps de l’artiste n’est nulle part sa présence est partout, à sentir, à entendre, à goûter : qu’est-ce à voir ?

 

La pudeur se retourne, comme un gant, en une exhibition sans gène de l’intimité la plus cachée aux regards cultivés par la beauté des formes : la peau, les tissus intestinaux, un genou, une oreille, sont le philtre par lequel les humeurs inquiètes et cruelles de son enfance se donnent à voir.

 

Par l’habileté féerique des mains de Frédérique Metzger, ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, les songes n’ont pas, ici, de clé, ils sont autant de cailloux sur le chemin qui mène à ce que nous aimons, et qui nous mangera.

Jean-Marc Bermès, juillet 2009

Tel un chant qui monte

Anne Dallant

Le travail de Frédérique Metzger prend naissance à la table, dans l'intimité du dessin et des mots griffonnés, dans les petites sculptures posées sur les étagères, accrochées au mur. C'est là que se construisent les histoires de l'enfance, les mots de femme, les peurs et les délices. Parallèlement, les matériaux sont collectés, récupérés, testés et la sculpture a lieu ; elle devient « sculpture de compagnie » à emporter au bout du monde ou se développe dans l'espace de façon organique, joyeuse, colorée déterminant un univers autonome et fort singulier. Le dessin a suivi ces traces, proliférant sur le papier découpé et collé sur les murs tel un chant qui monte dans l'espace d'exposition.

Alice au jardin

Odile Crespy

Nourrie d'une littérature teintée de poésie ou de philosophie allant de Lewis Carroll (Alice...) à Gilles Deleuze, Michel Foucault ou George Perec (Espèces d'espaces), Frédérique Metzger construit son Metzgerbau*, un univers hétéroclite mais non dénué de sens dans lequel, telle Alice, son héroïne préférée, elle cherche sa propre place (Devenir Alice).

Dans ses carnets, "espace de liberté et lieu de désir", elle note sa relation au monde et démontre une curiosité sans bornes et sans préjugés. La sculpture elle-même, plus un moyen qu'une fin, fait partie du domaine du langage, forme de passage entre le dedans et le dehors, le caché et le visible. Alors, comme on établit avec les mot des associations plus ou moins conscientes entre le rêve, la mémoire et  la réalité, elle multiplie dans ses installations des éléments, en apparence disparates, qui s'agrègent et prolifèrent sur un mode organique, tentaculaire et envahissant. 
Sa matière première, d'abord textuelle et iconographique, est parfois puisée dans le quotidien.  
Elle récupère alors "par attirance intuitive", les matériaux variés pour meubler l'espace de ses inventions aux excroissances volubiles (Se développer en milieu hostile) dont elle a modifié les rapports d'échelle. Intéressée par tout ce qui évoque un recouvrement (ce qui cache ou ce qui laisse deviner), elle joue avec la transparence du verre en y moulant une dentelle de colle au pistolet (Le Festin Vide) ou travaille en creux la mémoire d'un corps à travers l'empreinte qu'il a laissée. (Personne d'autre). Ailleurs, elle recrée un univers "enfantin" avec ses "toutes petites sculptures" (Les Ménades) aux éléments bigarrés, porteurs d'innocence ou d'angoisse. Et puis, comme pour stopper un imaginaire en délire, elle fige ses outils sous une couche de plâtre, de silicone et de latex, les neutralisant et les renvoyant à leur essence (Mes outils "alalie"

*Le nom féminin Bau, en allemand, signifie construction. Metzgerbau est aussi le nom que l'artiste a donné à son atelier.

Résidence du 14 mai au 29 juin 2012

 

Invitée à intervenir à l'Usine Utopik, une ancienne serre convertie en espace d'art, Frédérique Metzger s'inspire de cette précédente fonction -La Serre = lieu clos, sous cloche- pour composer, comme dans un écrin, un jardin miniature que le spectateur pourrait voir comme avec les yeux d'Alice, sollicité par la vivacité des couleurs, les murmures enregistrés, les parfums diffusés, le désir de goûter... L'artiste s'approprie les images des enluminures anciennes et les planches de botanique qu'elle traite avec des matériaux tactiles. Composé en pâte Fimo (une pâte polymère), silicone et savon parfumé, tout un "meccano" s'organise autour des pots de fleurs et lianes récupérés chez la fleuriste. Dans ce jardin extraordinaire on rencontre des aliens, des doigts et des oreilles, toutes sortes de mutants aussi inquiétants  parfois que des plantes carnivores. On y entrevoit aussi une réalité qui a glissé vers le rêve jusqu'à l'absurde.    

Odile Crespy, catalogue monographique Résidence # 19, Usine Utopik, 2012

Entretien, Frédérique Metzger et Isabelle Rocton (extraits)

Isabelle Rocton :

Ton choix s’est orienté vers la sculpture et le dessin depuis quelques années. Quels liens tisses-tu entre eux ?

 

Frédérique Metzger :

L’un ne va pas sans l’autre. Pour moi, le dessin s’apparente plus à la pensée, la sculpture à l’action. Dessiner est une pratique quotidienne, continue, un peu comme l’écriture d’un journal, « ce qui se passe à bord ». Un réservoir de formes se met en place dans lequel le travail de sculpture puise.   Peut-être les dessins tissent-ils justement des liens entre les sculptures, une trame narrative ?

 

I R :

En 1998, tu réalisais un dessin intitulé Résidence (coll. artothèque du Limousin). Comme celui de l’habitat, il s’agit d’un thème récurrent dans ton travail. La maison est très présente dans tes dessins et sculptures, mais n’est-ce pas plutôt un prétexte ?

 

F M :

Le dessin dont tu parles peut être lu de plusieurs façons : protection ou carcan, enfermement ou éclosion, …seuls deux petits pieds sortent de la bulle, le corps disparaît ou déborde. Tu comparais cette forme avec l’une de mes « sculptures de compagnie ». Je me suis aperçue récemment que je la « réutilise » dans L’arrivée, un dessin fait en mars dernier, au début de ma résidence d’artiste. La bulle qui enveloppe un personnage est ici verticale, force l’encadrement d’une porte.

Des choses reviennent, oui… l’habitat…l’habit…ce sont des lieux. Ce qui importe est ce qui s’y passe, qui apparaît à la surface ou surgit de l’intérieur, ce qui pénètre au-dedans…une sorte de « levure ».

 

I R :

Finalement, on y trouve une latence, l’idée d’un état provisoire, de choses en transformation. Les maisons ne seraient que l’illusion du tranquille… Je suppose que le titre de ton exposition au Lycée Loewy de La Souterraine, je demeure intranquille, est en relation avec ce questionnement ?

 

F M :

Ce qui m’intéresse, c’est le passage, le glissement, la mutation ou le surgissement. Ce qui habite les maisons ou les hante.

En ce qui concerne le titre de l’exposition, il est également une forme de déclaration, une façon de faire allusion à l’état de recherche : le doute nécessaire et aussi la curiosité, l’appétit qui maintiennent en éveil…

 

I R :

L’engagement à être artiste dont tu parles souvent… tu as peut-être mis ces notions à l’épreuve pendant ta résidence ?

 

F M :

La résidence a effectivement été l’occasion d’interroger profondément mes choix, mes envies, de me confronter à d’autres objectifs. Les étudiants en arts appliqués travaillent sous forme de projets où tout est très rigoureusement justifié. Moi je laisse une grande part à l’expérimentation. Rien n’est décidé à l’avance, mes intuitions et mes émotions deviennent progressivement des formes…

L’intérêt de l’échange est de s’enrichir de la différence sans obligatoirement adhérer mais au moins accepter que quelque chose d’autre puisse se faire qui a aussi sa raison d’être...

 

I R :

Il s’agissait pour toi d’une première en la matière et tu as voulu exploiter au maximum l’idée de résidence en choisissant de manger, dormir, travailler sur place, j’ai l’impression que cette proximité est importante dans ta démarche : ton lieu de vie est ton lieu de travail…

 

F M :

Oui, c’est « l’appartelier ». Mon travail se nourrit du quotidien : des mes lectures, des musiques que j’écoute, des films que je vois, mais aussi des rencontres, des événements et des déplacements. Je tiens à cette interpénétration…tailler dans le vivant… Et je voulais vraiment jouer le jeu de l’immersion : être ailleurs tout en n’étant qu’à quelques kilomètres de chez moi.

 

I R :

Travailler dans un établissement scolaire, c’est rompre avec une certaine solitude, être exposée aux regards, aux questions, accepter d’être sollicitée…

 

F M :

Voire d’être dérangée… car j’ai plutôt tendance à ne pas montrer les choses en train de se faire mais j’étais là pour chahuter mes habitudes et donner à voir  la réalité d’une démarche dans ses hésitations, ses décisions, au fil des jours…Du coup, mon travail a réagi à cette ouverture : dans les pièces réalisées sur place, le processus est plus apparent…elles sont comme en train d’advenir…

 

I R :

J’ai l’impression effectivement d’organismes vivants, mutants. Et il y a toujours ce mélange de familiarité et d’étrangeté, de tendresse et de monstruosité. Elles me font penser aussi à d’énormes pâtisseries non comestibles…

 

F M :

Des gourmandises trompeuses, comme la maison de la sorcière dans le conte de Grimm Hansel et Gretel .

Le piége, la séduction, sont aussi des thèmes autour desquels je travaille.

 

I R :

Plus généralement, le corps, la peau mais aussi ce qu’elle cache t’interroge. Alors que de nombreux artistes contemporains mettent en scène la nudité voire même les entrailles d’êtres vivants, doit-on percevoir dans tes œuvres un rapport plus psychologique ?

 

F M :

Je suis fascinée par les cires anatomiques, les planches descriptives qui proposent une sorte de lecture en feuilleté du corps. Ce type d’imagerie suscite un basculement dans la monstruosité, le « trop humain », le réel fouillé à l’extrême devient étrange jusqu’à l’effroi. Le gore, le porno où il s’agit de tout ouvrir, de tout montrer, parlent aussi de cet éloignement, cette perte. Lors de ma résidence au lycée, un enseignant m’a prêté des vidéos scientifiques dans lesquelles on plonge au cœur des matières : nylon, latex, plâtre, acier. Les molécules grossies des millions de fois deviennent des mondes, des paysages fantastiques. Il trouvait mes sculptures très proches de ces formes. C’était saisir l’idée de percée, de grossissement, d’exacerbation qui sous-tend mon travail.

J’utilise beaucoup de détours parce que j’aime fouiller le paradoxe, l’entre-deux, et proposer une multitude de sens. Je me situe peut-être un peu entre la dentellière et le chirurgien. Prenons par exemple cette pièce Obnubile à deux pattes . Tu disais que cette forme semble se tourmenter. A la fois elle tient du nuage, un élément qui revient beaucoup dans l’histoire de l’art et m’intéresse…("obnubiler" signifie étymologiquement « voir à travers un nuage »). C’est aussi un organisme, comme un gros mollusque qui bave. Une douce torture…

 

I R :

On peut faire un lien avec les textes de Ponge que tu avais épinglés dans ton atelier au lycée parmi tes dessins. Qu’est-ce qui a provoqué cette relecture ?

 

F M :

J’entendais sans arrêt les étudiants parler de "parti pris" lorsqu'ils présentaient leurs réponses personnelles à une commande. « Partipripartipripartipri » me revenait comme une rengaine obsessionnelle. J’ai emprunté Le parti pris des choses  à la bibliothèque. Les images sur lesquelles j’avais déjà beaucoup travaillé sont réapparues : l’escargot, la limace, la méduse,…

La mollesse et la ténacité, la viscosité et la grâce… Et ce texte que j’aime particulièrement, « L’Antichambre  :

« […] où l’ombre tolérée

forte à questionner ne répond que par monstres

accueille un visiteur qui t’étrangera mieux […] »

me colle un peu à la peau.

Tu parlais tout à l’heure de rompre avec la solitude mais changer de milieu, c’est aussi faire l’expérience d’une autre forme de solitude, devenir « étranger », s’adapter, s’ouvrir, s’affirmer, et ces pièces sont en quelque sorte des résidents, des « autres », qui ont poussé ici, se sont greffés, tant bien que mal, coûte que coûte, des sécrétions…

De La Souterraine, en Creuse, il fallait bien que quelque chose sorte.

Limoges,

Le 16 octobre 2001.

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