Journal de voyage en Russie (extrait)
À Saint-Pétersbourg, tout est signe : la croix prise dans la pâte du manteau des saints, la croix où se resserre la peinture chez Malévitch, l’enseigne, l’habit, l’affiche.
Tout fait icône.
Après le choc de l’Ermitage, une peinture vivante s’avance dans l’église orthodoxe, un fichu de laine russe me dessine un accroche-cœur au crochet sur chaque joue, des chants sublimes me mordent la poitrine. Un chien me suit partout dans les rues et je décide que c’est Gogol. Les palais délabrés de couleur sont rejoints par des trottoirs sales, l’herbe pousse dans les craquelures des routes.
À Saint-Pétersbourg m’emportent dans leur valse douce et infernale : l’or des Scythes, Rachmaninov et les lustres en cascade, les perspectives immenses qui percent de part en part la ville, les nuits sans nuit, les monstres en bocaux du Kunstkamera…
Saint-Pétersbourg capitale du romantisme où de très jeunes filles s’exhibent près de l’hôtel comme de la viande à l’étal, où une vieille femme vend sa fortune disposée au sol : un parapluie, un tire-bouchon, elle me murmure quelques mots dans un français impeccable.
Je relis sans cesse ce poème de Maïakovski qui s’enroule partout, glisse dans la Neva, se pend au ciel, se perd dans les yeux d’un marin qui appellent sans décor au désir. Les hommes russes vous bâtissent des datchas en 2 jours.
Quelque part résonne le rire de Woland. Sur la table de Pouchkine, une page griffonnée illustrée d’un portrait de Voltaire qui rit de ce même rire farceur de diable.
Le soir, les ponts se lèvent, les rives s’ignorent et c’est encore, taillé dans la vie, tout un spectacle qui se déplie : annonciation, dormition, intercession, sous un ciel qui malgré l’heure ne veut pas s’assombrir.
Frédérique Metzger